Délais de paiement : enjeux et bénéfices de la facturation électronique
Pour remédier à l'aggravation des retards de paiement, la facturation électronique obligatoire se présente comme une solution clé pour les PME, assurant gain de temps et réduction des coûts. Les obligations de e-invoicing et e-reporting, applicables progressivement dès 2026, offrent une perspective d'amélioration de la trésorerie et des processus financiers.
Les retards de paiement interentreprises constituent un enjeu majeur pour la santé financière des petites et moyennes entreprises (PME) en France. Malgré les efforts réglementaires pour réduire ces délais, il est constaté une détérioration continue, avec une moyenne de 17,52 jours de retard au 3e trimestre 2024, en hausse de 1 % par rapport à l’année précédente (dernières données Ellisphere, acteur spécialisé dans la data B2B). Cette situation met en difficulté les PME, souvent dépendantes de flux de trésorerie réguliers pour leur survie. La mise en place de la facturation électronique obligatoire offre la possibilité d’améliorer la transparence et l’efficacité des transactions.
Les principales causes des retards de paiement
L’aggravation des délais de paiement est liée à l’augmentation des coûts des matières premières, exacerbée par la spéculation pour certaines d’entre elles, et au contexte géopolitique qui affecte de nombreuses industries, notamment l’agroalimentaire ou la construction. Les fluctuations des prix des matières premières créent de l’incertitude qui entame la capacité des PME à produire et à vendre efficacement, entraînant des retards dans les paiements. La guerre en Ukraine et d’autres tensions internationales contribuent à l’instabilité économique, affectant la performance des entreprises.
Cette aggravation trouve également sa cause dans l’obligation de rembourser le prêt garanti par l’État (PGE). D’une part, de nombreuses entreprises ont souscrit des PGE pendant la crise de la Covid-19 alors qu’elles allaient inévitablement vers une liquidation. En allongeant la dette, l’État et les banques ont mis sous cloche des entreprises qui auraient dû cesser leur activité. D’autre part, certaines entreprises ont bénéficié du PGE par précaution, sans véritable nécessité financière. Les entreprises ayant des difficultés financières peinent, voire ne parviennent pas, à le rembourser. La baisse de la consommation générale contribue aussi à une diminution de la trésorerie disponible pour les entreprises, ce qui complique encore davantage le respect des délais de paiement.
Selon une étude de la Banque de France publiée en 2022, les retards de paiement des factures augmentent « la probabilité de défaillance d’une entreprise de 25 %, et de 40 % si les retards excèdent un mois ». Les pratiques frauduleuses entraînent également une détérioration de la trésorerie des PME et des difficultés à respecter leurs délais de paiement. Certaines entreprises effectuent des commandes sans intention de les payer, en tirant profit des stratégies de limite de crédit. Elles aggravent ainsi la situation des entreprises saines en perturbant leur cash-flow avec un effet boule de neige.
Délais de paiement : réglementation et sanctions Sans convention entre les parties, le délai de règlement ne peut pas dépasser 30 jours après la date de la réception de la marchandise ou d'exécution de la prestation (C. com. art. L 441-10, I, al. 1). Si la convention fixe ce délai, il ne doit pas dépasser 60 jours après la date d’émission de la facture. À titre dérogatoire, un délai maximal de 45 jours fin de mois après la date d'émission de la facture peut être prévu, à condition que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier (C. com. art. L 441-10, I, al. 2 et 3). En cas de facture périodique, le délai de règlement est de 45 jours après de la date d'émission de la facture (C. com. art. L 441-10, I, al. 4). Les professionnels de certains secteurs d’activité (transports, produits alimentaires et boissons, horlogerie, bijouterie, joaillerie et orfèvrerie, etc.) peuvent décider de réduire ces délais de paiement, excepté le délai de droit commun de 30 jours, et de retenir que le point de départ du délai de paiement est la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation. En cas de retard de paiement, des pénalités sont exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture (C. com. art. L 441-10, II) selon les conditions d'application et le taux précisés dans les conditions de règlement incluses dans les conditions générales de vente (CGV). En plus des intérêts de retard, tout retard de paiement entre professionnels donne lieu au versement d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d'un montant de 40 €. Par ailleurs, les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (CCRF) sont habilités à rechercher et constater les manquements à la réglementation des délais de paiement entre entreprises (C. com. art. L 450-1 s.) et dans les contrats de la commande publique (CCP art. L 2192-15 et L 3133-14). En cas de dépassement d’un délai plafond, la Dreets (direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) peut notamment infliger une amende administrative d’un montant pouvant s’élever à 2 millions d’euros ou, en cas de réitération dans les 2 ans, à 4 millions d’euros (C. com. art. L 441-16 ; CCP art. précités). Ces sanctions sont systématiquement publiées sur le site de la DGCCRF (C. com. art. L 470-2). |
Un processus de facturation trop complexe
Les entreprises de plus de 1 000 salariés concentrent les délais de paiement les plus élevés avec 17,8 jours de retard de paiement en moyenne au premier semestre 2024. L’État et les collectivités locales concentrent des retards même légèrement supérieurs à ceux du secteur privé (13,3 jours contre 12,5 jours) (Étude « Comportements de paiement des entreprises, 1er semestre 2024 », Altares).
Un des problèmes majeurs dans l’efficacité du processus de facturation est l’absence de communication entre les outils. Le processus complet de facturation dans une grande entreprise se déroule sur une période minimale de 30 jours. Entre le moment où l’entreprise reçoit la facture et celui de son paiement, il y a parfois cinq outils différents qui entrent en jeu, avec des interventions humaines à chaque étape : la contrathèque, la saisie des bons de commande, la réception des factures, le rapprochement de la facture dans le système comptable et le passage dans le système de trésorerie. Lorsque l’entreprise exerce différents métiers, il y a un système de facturation par métier. Par ailleurs, dans une période de ralentissement des activités économiques, les grandes entreprises ajoutent des étapes de contrôle des coûts et de validation des bons de commande.
Pour les grandes entreprises, la réforme de la facturation électronique est l’occasion de repenser le processus dans son ensemble, de revoir les outils, de recréer des interfaces et de mettre en place des systèmes de pilotage plus fluides, voire d’utiliser des logiciels plus modernes. Les outils trop anciens posent des problèmes de maintenance et d’interconnexion avec ceux plus modernes. Repenser la chaîne de traitement est un préalable pour avoir une ambition, non seulement transactionnelle, mais également globale de pilotage de l’entreprise.
Vers une optimisation du processus de recouvrement Aujourd’hui, le système comptable envoie des factures, génère un scénario qui va contrôler la date d’échéance puis, en fonction du nombre de jours de retard pour le paiement d’une facture, émettre un courrier, un email ou un appel de relance, et au-delà d’un certain délai (90 jours, 60 jours ou 30 jours), selon le secteur d’activité ou les CGV, envoyer une mise en demeure au client/fournisseur ou le menacer d’une procédure judiciaire. Les scénarios sont différents selon que le client est un grand compte ou petit compte ou relève du secteur public ou du secteur privé, etc. Avec des flux automatisés, le système de relance devra être interconnecté avec les informations reçues de la plateforme de dématérialisation partenaire (PDP) pour continuer à fonctionner correctement. Cela va exiger de fiabiliser les données des entreprises et leurs mécanismes de lutte contre les erreurs et les fraudes en interne comme en externe. À terme, les logiciels de facturation, de trésorerie, de comptabilité et de recouvrement devront nécessairement évoluer pour une gestion plus automatisée de l’ensemble de ces processus. |
Les avantages offerts par la facturation électronique pour les entreprises
Les avantages de la facturation électronique obligatoire avancés par l’État sont nombreux : gain de temps et de productivité, diminution de la charge administrative et de son coût, sécurisation des relations commerciales, lutte contre la fraude fiscale, préremplissage, à terme, des déclarations de TVA et réduction des délais de paiement. Selon le ministère de l’économie et des finances, la généralisation de la facturation électronique représentera au final un gain de 4,5 milliards d’euros par an pour les TPE et les PME.
Malgré tout, la facturation électronique est davantage perçue comme une source d’inquiétude par certaines PME que comme un axe de progrès significatif. Seules 38 % des entreprises misent sur un effet positif sur la gestion de trésorerie (4e Baromètre de la facture électronique réalisé par Generix Group, juillet 2023). Ces entreprises voient cette obligation réglementaire comme une contrainte ou un coût, principalement en raison de la transmission de données pour des raisons fiscales à l'administration.
Or, ce flux de données peut également être perçu comme une source d’information qui sera la base de nouveaux usages dans l’entreprise pour améliorer les délais de paiement et donc la trésorerie à terme. Deux processus sont concernés : d’une part, l’order-to-cash (« se faire payer »), ou comment aider les entreprises à optimiser leur cycle de relance et surtout la transformation de leur commande en cash et, d’autre part, le source-to-pay (S2P) (« payer »), la gestion de la stratégie d’achat depuis l’identification d’un besoin jusqu’au paiement du fournisseur. Ces deux processus transactionnels clés vont être très fortement impactés par la dématérialisation des factures, et en parallèle, l’utilisation de la data et des nouvelles technologies (la robotique et l’intelligence artificielle) pour développer de nouvelles solutions de gestion.
La réforme de la facture électronique La réforme de la facturation électronique obligatoire impose deux obligations aux entreprises assujetties à la TVA en France : l’e-invoicing, qui exige l’émission et la réception de factures électroniques pour les transactions domestiques entre assujettis, et l’e-reporting, qui requiert la transmission dématérialisée à l’administration des informations issues de transactions hors champ de la facturation électronique, incluant celles avec des personnes non établies en France ou non assujetties à la TVA. La mise en oeuvre se fera progressivement selon la taille des entreprises : l’obligation d’émission de factures électroniques et de e-reporting sera applicable dès le 1-9-2026 pour les grandes entreprises, les membres d’un assujetti unique et les entreprises de taille intermédiaire, et à partir du 1-9-2027 pour les PME et microentreprises. L’obligation de réception de factures électroniques s’appliquera à partir du 1-9-2026 pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Pour se conformer à ces obligations, les entreprises devront utiliser une PDP privée, agréée par l’État, pour garantir la sécurité et la fiabilité des transactions. |
La facturation électronique pour réduire les retards de paiement interentreprises
49 % des entreprises estiment que le passage à la facturation électronique leur assurera une réduction des délais de paiement (4e Baromètre de la facture électronique précité). En effet, avec la facturation électronique, le client recevra de façon instantanée une facture conforme (avec les mentions obligatoires requises) sans risque de perte de document ou d’erreur de destinataire. « La dématérialisation […] est un outil formidable pour réduire les retards de paiement », affirme le médiateur des entreprises.
Par ailleurs, l’État indique que la transmission des données de transaction et de paiement à l’adminis-tration fiscale permettra aux chefs d’entreprise d’avoir une vision claire de leur situation financière. En intégrant les données relatives aux flux entrants et sortants dans un tableau de bord, les entreprises peuvent mieux gérer leurs flux de trésorerie, anticiper les paiements et identifier les risques liés à leurs créances.
Les données transmises et collectées via les PDP L’obligation de e-reporting concerne les opérations qui sont hors champ de l'obligation de facturation électronique, dans l’objectif de reconstituer l'activité économique d'une entreprise dans son ensemble. Les entreprises concernées par l’obligation de transmission des données de transaction sont celles effectuant des livraisons de biens (ventes) ou des prestations de services à des personnes non assujetties à la TVA (ex. : particuliers et associations), en France ou à l'étranger, ainsi que celles réalisant des achats ou ventes avec des partenaires assujettis dans l'Union européenne (UE) ou hors UE, à l'exception des importations de biens. La périodicité de transmission est définie selon le régime d'imposition à la TVA (franchise en base, régime simplifié, régime réel normal). Pour les ventes à des non-assujettis, les données à transmettre correspondent aux opérations soumises à la TVA cumulées par jour, permettant à l'administration de déterminer les bases HT de l'entreprise réparties par taux de TVA et le montant de TVA correspondant. Pour les transactions avec des assujettis, les données à transmettre sont similaires à celles exigées pour la facturation électronique, sauf pour les entreprises étrangères qui devront fournir le numéro de TVA intracommunautaire ou un numéro étranger d'identification (au lieu du Siren). Pour les assujettis réalisant des prestations de services, les données relatives au paiement de ces opérations doivent être communiquées sous forme électronique, quand l'entreprise n'a pas opté pour le paiement de la TVA sur les débits ou que l'opération ne donne pas lieu à autoliquidation. Les données à transmettre sont la date d’encaissement et le montant encaissé par l'entreprise servant à déterminer la TVA collectée exigible à déclarer à l'administration. Elle s’applique quelle que soit la nature du client, qu'il soit établi en France ou hors de France, qu'il soit professionnel ou non assujetti. |
L’expert-comptable pour accompagner l’entreprise vers ces nouveaux usages
Sans attendre l’entrée en vigueur de la réforme, pour tirer parti des avantages offerts par la facturation électronique, les dirigeants d’entreprises peuvent consulter leur expert-comptable pour analyser les données transmises et collectées par les PDP et imaginer quel type de tableau de bord construire.
Le tableau de bord, un outil d’optimisation des délais de paiement
L’entreprise doit récupérer les données collectées par les PDP à partir de factures clients et fournisseurs, les stocker, les structurer, les prioriser et les combiner avec d’autres types de données afin de générer de l’information. Ces données pourront être mises en forme dans un tableau de bord pour donner au chef d’entreprise une vision enrichie des relations avec ses clients et fournisseurs et de leur impact financier (délais de livraison et de paiement, impayés, TVA, besoin en fonds de roulement et trésorerie…) et contribuer à une meilleure compréhension de l’écosystème de l’entreprise.
L’analyse comportementale des clients, un vecteur de croissance Les données collectées par les PDP représentent une source de savoir inédite pour accompagner le dirigeant dans la gestion de son entreprise. Ces informations constituent un indicateur de fiabilité sur les futurs clients ou les clients suspects. Elles peuvent ainsi alimenter une analyse comportementale des clients de l’entreprise. Lorsque des clients se développent sur un secteur émergent (ex. : l’énergie, l’écologie ou le renouvelable), l’entreprise doit adapter son offre de services ou produits à leurs nouveaux besoins. Pour ce faire, une analyse de la progression des ventes sera très utile pour mesurer les perspectives de croissance, mais également pour identifier l’évolution des usages dans un portefeuille de clients. Aux données collectées par les PDP s’ajoutent celles recueillies par l’entreprise, les données internes, qu’il convient d’analyser, ex. : les achats des clients, leurs comportements d’achat (négociation ou non des prix), leur fréquence d’achat et leurs moyens de paiement, mais aussi les données officielles externes rassemblant les informations juridiques de la vie des entreprises (ex. : journaux d’annonces légales, Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, infogreffe, les différents registres gérés par l’Inpi…). |
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